Imoarai Kazuma

Cent-vingt ans, ce n’est rien cent-vingt ans dans la vie d’un homme comme lui. Des conneries. Ce sont les plus longues années de sa vie. Cent-vingt-deux ans pour être plus exacte. Cent-vingt-deux ans qu’il est lié par le mariage à son Alpha. De quoi se sentir comme un vulgaire chien tenu en laisse. Un petit chien bien dressé. C’est ce qui est convenu. C’est ce qu’il doit faire. Emettre une résistance ? Aller contre sa volonté ? Impossible. Elle en sait trop. Elle sait tout. Presque tout. Elle est puissante, il ne peut pas aller contre elle, contre l’instinct qui le pousse à courber l’échine devant elle. Du respect ? De la haine ? On se demande ce qu’il peut bien penser. Un visage fermé, impassible, enfin, de premier abord. Celui qui portera un regard plus attentif à ses yeux quand il lui obéit ne pourra que remarquer cette colère qui le ronge de plus en plus, qu’il essaie de refreiner. Cette envie latente… Mais il ne peut rien faire. Parce qu’elle sait ce qu’il a fait.  Elle connait de lui beaucoup trop de choses.

Pas de problème d’identité. Il a toujours su qui il était. Un Loup. Fier, rapide, puissant, aucun doute là-dessus. Il le sait, il l’a toujours fait savoir, dès le plus jeune âge. Sa fierté était trop grande pour montrer sa faiblesse face aux autres. Il faut dire, qu’il a appris de la meilleure. Celle qui l’a éduqué n’était pas sa mère. Et pourtant elle était la mère de beaucoup de Loups de sa génération, Emiko. Une louve remarquable, respectable, puissante, mais discrète, rangée. Elle avait déjà pas mal vécu quand elle a pris le petit Kazuma avec elle. Elle ne souhaitait pas devenir mère, non, elle voulait former la future génération. Elle voulait en faire des Loups puissants, stables, afin de maintenir le clan.

« Lève-toi Kazuma. » Ces mots… Qu’est-ce qu’il a pu les entendre. Elle lui lâchait ces mots avec mépris à chaque fois qu’il était à terre. A chaque fois que les premières transformations le vidaient de toute Energie. « Lève-toi où crève ». S’il était trop faible pour se relever et rentrer, elle le laissait sur place. Aucune pitié. Il était en colère contre elle, il sentait la colère monter, la rage, mais quand il arrivait enfin, car non, jamais il ne lui aurait fait ce plaisir de crever sur place, elle était là, à l’attendre les bras croisés sur la poitrine, un sourire plein de fierté, d’orgueil sur les lèvres. Mais elle ne le félicitait pas. Elle rentrait, bien qu’elle ne le montrât pas, soulagée. Pour elle ce petit avait du potentiel. Et elle n’avait pas tort.   Elle l’a entrainé à se battre sous n’importe quelle forme, elle l’a souvent blessé pour cela. Elle l’a poussé à bout, jusqu’au jour où il a pris le dessus sur elle. Il était enfin prêt.

Quand enfin il était devenu assez fort pour supporter la transformation, pour devenir un atout pour la meute, il était également trop plein de tout, une boule de nerf vivante, cédant à la colère, refusant de se soumettre si facilement. Il était fier, il était Loup, fort, puissant, capable. Mais encore ignorant. Le pouvoir, c’est le savoir. Et comment faire apprendre à quelqu’un qui refuse d’écouter plus que ce qu’il ne sait ? L’expérience. Il fallait que ça prenne sens. Qu’il le voit, qu’il le vive. Alors avec permission, Emiko l’envoya voir les autres clans.

Apprendre, comprendre, explorer, aider, se rendre utile, découvrir, donner du sens à ses actes, à ses choix. Rencontrer, s’imprégner, se quitter, se marier, obéir.

« Tu sais Kazu, elle n’est pas irremplaçable, d’autres peuvent faire ce qu’elle fait. » Une menace à peine maquillée, une menace susurrée au creux de son oreille, coller contre son dos, les mains sur son torse. Il la savait capable de ça, perdre un aussi bon élément ne lui posait pas de problème. Elle l’avait déjà fait, elle pourrait le refaire. Perdre Emiko ne la dérangeait pas le moins de monde. C’est comme ça que ça à commencer. Par des menaces. C’est comme ça que de Loup libre, fier, elle en a fait un enchainé. Le chantage lui a permis d’obtenir de lui des choses. Elle ordonnait, il agissait. Il s’est salit les mains pour elle. Plus d’une fois. Parmi tout ce qu’il a fait pour le clan, bien qu’honorable, il en a fait d’autres détestables, méprisables. Une vie pour une vie. Si ça venait à se savoir… Elle, elle sait, elle l’a demandé bien que vicieuse, perverse et cruelle, lui faisant croire qu’il a mal agit de son propre chef, elle le tient encore mieux ainsi.

Cent-vingt-deux ans… C’est long. Encore plus long que l’horrible phase des premières mutations qui ne lui ont pris que cent-deux ans. Cent-vingt-deux ans…