Daisuke - Scream for the truth

Un jeune lycéen disparu pendant douze heures réapparaît au milieu de la rivière d’Ôta
Mainichi shimbun, 2004/06/15

Difficile de comprendre comment j’en suis arrivé là. Alors je vais récapituler.
Je suis un gamin exemplaire avec deux parents parfaitement normaux. Nous ne sommes pas plus riches que la moyenne, pas plus pauvres non plus. Personne n’est célèbre, mais comme je suis fils unique, je dois avouer que je suis un peu le roi à la maison. En échange, je me suis engagé dès ma petite enfance à être le fils dont rêveraient toutes les familles. Voilà, vous connaissez mon background, retour au présent.

Nous sommes à Hiroshima, en 2004. J’ai donc seize ans, et comme tous les lycéens qui se respectent, je prends des cours particuliers certains soirs. En l’occurrence, le mardi, c’est le cours d’anglais renforcé que je prends avec un type très sympathique du nom de Peter. Je me souviens qu’on plaisantait tous les deux sur nos prénoms d’ailleurs; le sien est aussi très commun dans son pays d’origine. Mais bref. Je rentrais donc à pieds chez moi, nous n’habitions pas très loin l’un de l’autre. C’est peut-être la raison pour laquelle moi non plus je ne comprends pas ce qu’il s’est passé. Tout ce dont je me souviens vaguement c’est d’une douleur vive, l’impression que mon corps ne m’appartenait plus...puis un moment de flottement intense, jusqu’à me réveiller tout habillé au milieu de l’eau. Je crois que ce sont des badauds qui m’ont repêché, puis emmené à l’hôpital car je racontais n’importe quoi. Au final, je m’en suis sorti avec un simple rhume et l’impression que quelque chose d’important m’échappait.

Cette curiosité sur cet événement est la raison principale de mon choix d’études et de vie. Il faut savoir que ma famille, et moi par extension, est très croyante. Nous prions les kamis pour tout et n’importe quoi, assistons aux cérémonies, vivons selon les principes shintoïstes. Bref, j’ai toujours baigné dans ce milieu et quand j’étais petit, je croyais dur comme fer que j’allais devenir moine. Eh bien après cet événement, sachez mesdames et messieurs que j’ai revu mes priorités. La religion, finalement...ça ne pouvait pas être un but dans la vie. Assouvir ma curiosité semblait bien plus important. J’aurais pu faire comme si de rien n’était, continuer à étudier sans trop savoir où aller...mais c’était sous-estimer ma curiosité naturelle.

Meurtre au coeur de la capitale: pourquoi la police a-t-elle laissé tomber l’affaire?
NHK 2012/10/18

Les années ont passé, et j’ai pu terminer mes études avec brio. Je vous ai dit que j’étais un élève modèle? Ah...bon, d’accord, je vais l’avouer: je n’étais pas premier de la classe, loin de là. En fait, j’étais vraiment nul en maths! Mais honnêtement, c’est un cliché que les asiatiques sont doués là-dedans, hein. Au final en étant nul, j’étais dans la moyenne. Mais mes notes en anglais compensaient largement cette médiocrité, et j’ai pu entrer à la fac sans trop de souci. Mes parents ont payé mes études, évidemment, mais j’ai aussi réussi à me faire une place dès la dernière année du lycée en tant que journaliste pour un magazine étudiant qui m’a permis d’obtenir une petite compensation financière. Pas mal pour un débutant, n’est-ce pas?

A force de m’imposer dans des réunions et autres rassemblements, j’ai pu dénicher une place en tant que stagiaire dans les locaux d’un journal international. C’était franchement la plus belle période de ma vie, et le début d’un accès plus ouvert à diverses informations qui m’intéressaient. Comme j’étais un type sérieux et zélé, j’ai gravi quelques échelons jusqu’à être même responsable d’une petite équipe. Malheureusement pour mon journal, ce n’était pas le but dans ma vie. Je souhaitais simplement partager la vérité avec le monde entier, mener des enquêtes en parallèle de la police pour mettre en lumière quelques zones d’ombre. C’est ainsi que mon zèle me mènera parfois dans des situations délicates, surtout maintenant que j’étais à Tokyo. Je me rendais compte qu’ici plus qu’ailleurs, les tireurs de ficelles étaient nombreux. Il fallait les confondre...cependant j’étais naïf, à cette époque. Encore jeune et frais, je ne comprenais pas que parfois, la vérité pouvait mener à de lourdes conséquences. Alors lorsque du jour au lendemain j’ai été viré de mon poste, j’avoue avoir accusé le coup. Comment moi, journaliste intègre et travailleur, je pouvais me retrouver à la rue aussi facilement? Etait-ce à cause de cet article signé de mon nom et accusant à demi-mots les autorités de survoler certaines affaires…?

Un trafic d’êtres humains dévoilé: quelles conséquences pour les responsables?
Jitsuwa Jidai 2018/8/8

C’est récemment que mon nihilisme profond s’est réveillé. Jusqu’à cet instant, je continuais à vivre avec la rage au ventre, persuadé que tant que je respirais cet air, je devais faire justice à ma manière en livrant aux yeux de tous la vérité. Jusqu’à cette soirée d’août 2018, où j’ai finalement réalisé à quel point ma vie pouvait basculer d’un instant à l’autre sans que je puisse contrôler quoi que ce soit.

Je venais de boucler un dossier conséquent en tant que journaliste d’investigation. Mon affaire concernait un trafic découvert par un indic de la police, un trafic d’êtres humains qui semblait totalement couvert. Je me suis rendu sur place, et j’ai rencontré beaucoup de beau monde. Si je n’ai pas réussi à déterminer la finalité de ce trafic, j’ai pu néanmoins recueillir de belles preuves compromettantes et quelques photos. Pour tout dire, j’étais assez content de moi; j’avais fait une bonne centaine d’heures supplémentaires pour avancer cette histoire avec mon équipe, et je songeais enfin à prendre un peu de repos avant le début d’une nouvelle enquête. Pas de congé, hein, un repos...du genre, une affaire triviale, quelque chose qui ne demandait pas de me plonger corps et âme comme je venais de le faire.

Ces hommes sont sortis de nulle part. Armés, leurs visages planqués dans l’ombre, ils m’ont fait comprendre que j’étais allé beaucoup trop loin cette fois. Si des policiers n’étaient pas arrivés à ce moment-là, je pense que je ne serais même plus là pour raconter cette histoire. Plusieurs côtes cassées, le poignet également, le visage en sang, une large plaie au niveau du flanc, et un traumatisme crânien. Voilà le résultat de cette merveilleuse soirée qui m’a enfermé une semaine à l’hôpital, à subir des opérations et tests divers pour s’assurer que je n’aie pas de complications. Malheureusement pour moi...ces complications étaient inévitables. “Hématome sous-dural”, c’est ce qu’on m’a sorti un jour où le médecin semblait particulièrement contrarié. Une poche de sang dans le cerveau, à un endroit beaucoup trop dangereux pour envisager une opération sans réflexion. C’est à partir de ce jour-là que je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Scandale à Taitô: des armes sur le sol japonais?
Jitsuwa Jidai 2020/2/16

N’importe qui aurait abandonné son métier, mais je dois être un peu stupide au fond...car au lieu de ça, cette soirée m’a conforté dans l’idée que j’étais sur la bonne voie. Comme pour faire un pied de nez à ces types qui ont failli me tuer, je persévère encore aujourd’hui dans des recherches qui pourraient avoir raison de moi. De toute manière, je me suis fait à l’idée que je n’atteindrais peut-être pas les quarante ans. Pourquoi? Parce que j’ai désormais autant d’ennemis qu’un flic intègre et zélé. Mais aussi parce qu’à l’hôpital, on se rend compte que l’hématome gagné deux ans auparavant risque de se déplacer de lui-même à un moment donné et menacer ma vie. En gros, même si j’arrête de fouiner partout, mon temps est tout de même compté. Un simple choc, et me voilà prêt à être mis entre quatre planches! C’est fou ça, hein? Alors je continue. J’aime mon métier, je ne le quitterai pour rien au monde. Dans un film d’horreur, je serais ce journaliste toujours prêt à filmer un scoop, celui qu’on garde en vie jusqu’à la dernière minute pour documenter l’action. Tout ça à cause de ce trou de mémoire d’il y a seize ans...au fond, je me dis que les kamis ne sont pas innocents dans l’histoire. C’est peut-être prétentieux de ma part, mais je suis persuadé d’être investi d’une mission divine. Je dois juste faire en sorte de ne pas décevoir ces forces supérieures.