Ishida Lyra | They need a mama wolf like me {Délai jusqu'au 24/04}

Je suis née dans ce trou à miséreux, dans cette famille nombreuses de cinq gamins qui avaient fait halte pour m’être au monde ma personne. Des bergers nomades aux yeux bridés avec une langue mystique ; il m’arrive d’avoir des bribes, mais j’ai perdu la plupart de mes parlers d’autrefois. C’est-à-dire qu’ils ne me sont pas d’une grande utilité pour le Japon moderne. Bref, je ne parle plus ces vieux dialectes turcs et persans.

Ville orientale très cosmopolite, ils décidèrent d’y rester, touchés de bigoterie pour le zoroastrisme. Mais déjà à cette époque j’y comprenais rien à ce manichéisme du Bien et du Mal : qu’on y croit ou qu’on y croit pas, ça ne change rien que les moutons ont besoin d’herbes et d’eau fraîche et qu’il faut leur débarrasser de leur laine pour ne pas s’écrouler sous leurs p’tites pattes. Mais je voyais déjà combien ce genre de discours touchait les gens, et ça me dépasse toujours. Je me souviens que je faisais le strict minimum qu’on m’disait, mais je crois bien que j’étais déjà un cas. Avec mes frères et soeurs, on ne faisait que s’embrouiller les uns les autres...pour un peu tout et n’importe quoi. Faut dire que j’me laissais pas faire ! Votre Beta, Lyra, était déjà là ! On rendait notre mère folle. Mais quand c’était père qui prenait la parole, ce n’était plus la même. Mais mon existence de fille de marchands pouilleux n’était pas très intéressant !

Ma vraie vie commença lorsque j’ai quitté ce nid à poules. Ce ne fut pas tout à fait dans les normes, mais ma famille ne me regretta pas, et n’avaient jamais envisagés autre chose me concernant. Régulièrement, des bandits aux visages sombres attaquaient les échoppes de nos voisins ; et ce beau ténébreux me faisait frisonner à chaque fois. Sans surprise, quand lui et sa bande pillèrent la nôtre, je me suis embarquée avec les marchandises. Maintenant quand je me souviens, il n’était pas si beau que ça. Mais que voulez-vous, à quatorze piges, un garçon un peu mignon qui vous remarque, on est toute émoustillée nous les filles.

Malheureusement, en dépit de notre relation consommée, ce mec ne m’a pas offert la lune de miel orientale que j’espérais. Bandit du désert, bandit des cœurs ; c’est ce que sont en réalité les hommes lorsqu’il n’y a plus aucune règle de vivre-ensemble pour mettre sous geôle les bas instincts qui les habitent. Seule femme au milieu de ces scélérats, je devins leur bonne et leur putain. Heureusement qu’il y a que moi qui le sait ; mais même si je vous le disais, jamais vous me ne me croirez. Eh bien j’vous le dis : un jour, votre grande Lyra a été asservie. Oui ça m’a affecté, comme toute femme, mais vous me connaissez : il en fallait plus pour me détruire.

Passant de régions désertiques en régions désertiques, j’ai lentement préparé ma libération. Le temps que je devienne dégourdie, quoi. Ça restait que des hommes. Les filles, gardez ça en mémoire : ce ne sont que des hommes. Observez, trouvez des cachettes, des oreilles de confiance, réfléchissez, répétez le tout en boucle. En ce temps, nous étions forts en poisons. Un soir, en préparant comme d’habitude leur pitance, je les ai donc drogués, de manière létale, et je les ai volés. J’ai échangé mes vêtements avec l’un d’eux, je me suis coupée les cheveux ; travesti en homme, je me suis enfuie du campement comme ça avec vivres, marchandises, et chameaux. J’avais avertis certains contacts : leur trafic allait devenir le mien.



La route de la Soie devint mon point de repère, comme tous les marchands ambulants. J’avais toutes leurs cartes, des armes, et de quoi vendre. Ah, je vous avais pas dit ce que je vendais. J’vous l’ai dis, c’était des brigands. On pille, on vole, on revend. J’étais toute seule, ou presque, et je ne voulais pas qu’on voit que j’étais une femme, alors le raquette de paysans j’ai laissé tomber. Par contre, des jeunes esclaves que des familles pauvres me refourguent, ça c’était mon truc. J’ai bien mené ma barque comme ça. M’approvisionnant entre Téhéran et les contrées turques, je faisais mon périple jusqu’à Venise, mes derniers clients, sans oublier les mamelouks du Caire et les scythes de Bagdad. C’était très fructueux, tout ça.

Ma foi, tout se passait fort bien pour moi, jusqu’à ce jour qui a changé ma vie à jamais. Ce fut lorsque je l’ai rencontrée, elle...Ueda Pandora. Mes vingt-cinq ans passés, je venais de terminer un énième périple commercial. Une asiatique, même marchande, ne passait pas inaperçue, alors deux asiatiques vous pensez bien que ça a attiré mon attention. Elle, contrairement à moi, ne ressemblait pas à une commerçante itinérante. Sans pouvoir l’expliquer, quelque chose m’attirait chez cette fille. Elle avait une présence, c’était indéniable, mais il y a avait quelque chose en plus.

Maligne Pandora, elle avait grillé ma couverture. Elle était la seule, dans cette foule d’italiens, à voir que je n’étais pas un homme. J’ignore pourquoi, mais sur le moment, quand elle m’a abordé, j’ai pris peur. Je restais une étrangère de passage parmi des autochtones. Alors je me suis enfuie, comme une voleuse. Avec une étrange impression. J’en ai tremblé. Mais Pandora, je l’apprendrai plus tard, quand elle a quelque chose en tête, même jusqu’à l’autre bout du monde elle vous poursuivra. Et elle avait des projets pour moi. Elle ne s’était pas ramenée depuis la France juste pour le tourisme ou le charme des italiens, non. Pandora recrutait.

Elle m’a coincée, acculée, piégée de la plus belle des manières. Cette femme savait vous surprendre et vous confronter à vous-mêmes. Je me voyais qu’elle n’avait rien de la gentille et docile femme asiatique comme le voulait notre culture initiale : Pandora allait droit au but, elle vous disait vos quatre vérités sous l’émotion du moment. Mais je ne m’attendais pas à une force colossale comme la sienne. Prise dans une arrestation sous fausses accusations de sa part, elle est intervenue pour me défendre : j’ai cru me trouver dans un rêves. Elle a fait voler tous ces hommes en armure. J’avais appris quelques techniques de défense au cours des années, je savais donc un peu me défendre, mais pas au point d’être imbattable : encore moins à un niveau surhumain tel que le sien. J’étais éblouie. C’était la première fois que quelqu’un prenait ma défense, en plus par solidarité féminine...les larmes aux yeux, pour la première fois je me suis agenouillée, me jetant à ses pieds, n’en finissant plus de la remercier, et la suppliant comme je ne l’ai plus jamais fait à quiconque : « Je t’en prie...fais de moi ton élève, rends-moi aussi forte que toi...je te donnerai tout mon or en échange s’il faut... » Un sourire fier, altière, elle m’a demandé de me lever. Elle me demanda de lui tendre la main. Puis une douleur à m’en plier à deux.



Ueda Pandora n’était pas seule. Je n’étais plus seule, moi non plus. Trois louves nous attendaient. Elle ne m’a pas laissée comme ça, elle m’a emmenée avec elle dans son fief. Je laissais tomber mes affaires, elles attendront : de toute manière, je fus incapable de gérer quoi que ce soit pendant longtemps. Pandora venait radicalement de changer ma nature, et ça allait prendre un bon moment avant que je contrôle quoi ce soit.

Les filles, pour la plupart, étaient douces avec moi - c’était la meilleure chose à faire. Par douces, je veux dire compréhensives. Pas chiantes. J’avais un caractère déjà pas facile de base, alors je ne vous dis pas comment je ruais dans les brancards pour trois fois rien. Par contre, avec l’autre -qui allait me donner du fil à retordre plus tard- plus récemment transformée que moi, c’était très chaud. Elle aussi elle n’était pas du genre soumise, pour ça, Pandora nous avait toutes bien choisies. Et Dieu sait que j’avais la provoque facile. Que des femmes. Des femmes à fleur de peau. Mais la cheffe était toujours là pour éviter de nous entre-tuer pour rien. Oui, déjà si tôt, les rôles se pré-dessinaient : Pandora nous apparaissait comme la leader du groupe, c’était évident pour nous toutes.

On n’avait pas vraiment de toit fixe. On bougeait partout, au quatre coins de la France. Ce qu’on avait besoin, on le volait. Pas de grandes tactiques pour l’instant : ce qu’on voulait, on le prenait par la force. Les témoins, il n’y en avait pas. Ce fut tout naturel. Et même si on pouvait se chamailler, un esprit de groupe s’était créée lors de ces rapiats ; un esprit de meute.

Elles m’expliquèrent tout ce que je devais savoir ; la pleine lune, garder le secret...elles m’entouraient. Alors oui, j’avais mal, très mal à la main, au point que je n’arrivais plus à écrire. J’avais des trous noirs incroyables. Mais je ne l’ai pas si mal vécue parce qu’elles étaient là, autour de moi, pour m’arrêter s’il faut ; mais surtout, je faisais partie de leur monde, le monde de Pandora, et ça valait toutes les souffrances du monde. Des corps humains à côté de moi ? Normal, apparemment. Jamais elles ne m’auraient laissée tomber, c’est la leçon que m’a apprise cette période. Et puis, il m’est venu à l’évidence ceci : ne pas refréner la bête en moi. La laisser s’exprimer ; je sentais que dans ces moments-là notre puissance et notre magnificence sont à leur paroxysme. Jamais je ne ressentis de honte pour ce que j’étais devenue.



Les années passant, je continuais à faire mes transformations sans la moindre inquiétude. Elles prirent d’ailleurs un tournant ludique : c’est là où Pandora décida que nous prendrons part aux guerres locales. Nous la comprenions. C’était bien les larcins, mais il faut admettre que les butins de guerre sont plus rentables. Et puis quoi de plus fun que de laisser aller la bête en nous sur ce bataille humain volontaire ?! Que ce soit de nous ou pas, ils se rendaient tous sur le champ pour finir de la même manière ; couchés, la bouche ouverte.

Ce fut la meilleure période de ma vie. Vraiment. Mes amies, avec moi, dans la joie, de la nourriture humaine et fraîche en abondance, et Pandora, aux commandes. Pandora...cette femme, non cette louve, m’a époustouflée...sa grandeur, sa vision nette des choses, elle avait vraiment quelque chose en plus que je n’ai jamais retrouvé chez aucun autre louve, même chez sa fille -nous y reviendrons plus tard. Combien même j’eus des envies de domination, ce n’était jamais envers elle, mais envers les autres. Ma propre soumission s’imposait de moi-même, et je la reconnaissais sans honte. Les rôles s’établirent, se consolidèrent. Nous laissâmes des mâles entrer dans notre cercle : ils furent vite mis au parfum. Ils ne retrouveront pas chez nous la suprématie qu’ils avaient humains, non, jamais. En-dessous de nous ils resteront. Etait-ce si étonnant de les voir tomber sous des humains en premier ? Non. Ils nous déblayaient le passage, c’est tout. Par les têtes que je fis tomber, haute lieutenante je devins. Étonnamment, cette place me convint pendant de longues années. Gueule ouverte, crocs acérés, le son des tambours derrière moi, chaque jour de guerre était un jour de fête. Mes gloires. Mes trésors rapportés pour notre clan. Une nouvelle ère s’ouvrait à moi.

Je renouai avec les hommes. Leurs armes étaient devenues les miennes maintenant ; mes désirs avant tout. Entre deux batailles, je compris leur nécessité de se trouver un jouet sexuel. Hélas, il n’y avait pas encore la contraception...et nous n’étions pas encore à la conception d’une tribu, d’une meute à proprement parler, à l’aube de mai 1340. Un mal pour bien. Ce fut un garçon en plus, quelle horrible petite chose. Il aurait été femelle, les choses auraient été autre pour lui. Mais il a choisi le sexe lupin faible. Malheureusement pour moi, ma première fille n’arrivera que dans trois siècles. Pour le moment, ma malédiction avait débuté.


Je n’ai jamais cru en aucun dieu d’aucune région du globe, mais je crus en Pandora. Et jamais je ne ressentis le besoin de remercier tous les cieux de ce monde que le jour de la naissance de sa fille. Sa fille. Notre Alpha a une fille. On peut dire tout ce qu’on veut aujourd’hui ! Mais pour moi et pour les vrais, Pandora n’a eu qu’une seule véritable fille : Ueda Ruby. Je me souviens encore de ce jour. J’étais présente, à ses côtés. Le plus beau des honneurs. J’étais déjà passée par ces douleurs-là. Entourée d’une autre lieutenante, notre somptueuse Pandora pouvait compter sur nous. Nous avions pleurées. D’émerveillement...son premier enfant, une petite fille...le bébé le plus magnifique qu’il m’ait été donné de voir, encore aujourd’hui. Ruby fut la plus belle des petites filles à mes yeux. Peut-être par tristesse de ne pas avoir eu, moi de fille, c’est vrai...mais qui, à cette époque, ne pouvait pas aimer la petite Ueda Ruby ? C’était juste impossible. Cette enfant était un vent de fraîcheur, de renouveau.

Je n’aurais jamais cru me sentir contre Ruby un jour, compte tenu du fort attachement que j’avais pour elle auparavant. Quiconque peut vous le dire. Nous n’avons pas de lien biologique, mais si j’avais pu y remédier, je l’aurais fait : clairement, je me sentais comme une tante. Elle était un peu rebelle certes, mais faut-il s’en étonner de la fille de Pandora ? C’était bon signe, pour moi. C’est à ça qu’on reconnaît des leaders. Elle grandissait bien, entraînée par les plus hautes d’entre nous ; dont moi.

Nous changeâmes enfin de pays ; pas trop tôt. Nouveau royaume, nouvelle guerre en perspective. Naples. Quoi de mieux qu’un nouveau cadre pour montrer à sa fille comment on organisait nos opérations. Quant à moi, je me pourléchais les babines du sang facile qui allait se jeter sous nos pattes. Ce fut encore un épisode mémorable, ahah.




Nous y revoilà, encore, la France ! Cela dit, le climat est le plus parfait que j’ai connu : le plus parfaitement tempéré de la planète, Pandora savait faire les bons choix. Vers la fin des guerres napolitaines, les combats me donnèrent le contrôle total sur mon corps. Je fus plus forte que jamais je ne l’ai été.

Pendant que nous étions là-bas, les humains français étaient occupés à autre chose. Le manichéisme de leur religion les frappait d’une violence que je ne leur aurais jamais soupçonné ; c’est vrai, c’est un peuple au tempérament calme et équilibré à l’image de leur climat. Là encore, il y avait une histoire de Bien et de Mal : j’ai encore rien compris à leurs délires d’éternité de l’Ame alors qu’ils sont de simples humains. Tout ce qu’il y a à retenir c’est qu’il y en a, qui font bien les choses, et les autres non. Voilà.

Que dire ?  A part que c’était très divertissant à voir. Les mesquineries entre voisins, les scandales, les exécutions publiques...un feuilleton de réalité. Ah oui, les bûchers, parlons-en. Rien de plus frustrant, toute cette viande gâchée, et les flammes leur donnaient une odeur enivrante...c’était dur de se retenir d’en baver devant tout ce monde ! Pour sûr, nous n’étions pas très bien vus ; néanmoins, nous n’avions rien à craindre avec Pandora. Nous continuons d’établir nos plans militaires.

Il est vrai que je n’étais pas très focalisée sur cette guerre-ci. Pas que je sois lassée, au contraire, mais dans le secret de notre Conseil, Pandora m’avait chargée d’un autre projet. Notre désir le plus profond à nous toutes allait devenir réel. Ça pouvait faire beaucoup toutes ces guerres, mais elles n’étaient pas là pour rien. J’allais aussi pouvoir la remercier à ma façon ; la guerre française de religions n’était que de passage, un grand voyage allait s’offrir à nous. Et je me faisais un plaisir de le préparer. Peu connaissait l’Orient comme moi je le connais. En route pour la terre de notre meute  !



Emprunter le corridor russe fut la voie la plus sûre jusqu’au pays du Soleil Levant. Un total dépaysement pour ma part. Jadis, j’étais déjà allée jusqu’à Xian, en Chine, mais ici, certainement parce que c’est une archipel coupée du monde, je ne trouvai nulle repère culturel. Ce calme ambiant me déconcerta pendant quelques décennies. Moi qui n’avais connu que des terres mouvementées jusque là, j’avais du mal à concevoir un pays aussi serein....tranquille. Je soupçonnais que dans l’ombre, un gros mouvement politique se préparait à secouer tout ça, aussi je me tins prête à tout départ de guerre. Mais rien, nada, pas un souffle de révoltes ; j’étais bien maligne à chauffer les troupes. Bon, d’un côté, je n’avais pas complètement tord, il y aura les autres clans avec qui nous sommes en guerre aujourd’hui ; mais ce n’est pas vraiment eux à quoi je pensais. Eux, on s’en serait bien passé !

Il y eut entre autre la naissance du second enfant de notre Alpha ; très peu d’importance pour nous, en tout cas pour moi. Même si c’était une fille, pour moi aucune ne dépasserait sa fille aînée ; c’est connu, les premiers sont toujours les plus réussis. Et l’avenir me donna raison : dès ses premières années de vie, Saphir n’avait aucun potentiel que ce soit. Bref, sa naissance ne changea rien à ma vie, si ce n’est le mien, d’accouchement. J’enfantai ma première fille. Ma préférée de toutes. Vue le jour dans les terres de notre meute, une terre viable, j’étais comblée. M’occuper d’elle ne me fit pas manquer les champs de guerre, oh non. Il pouvait même tout arriver que rien ne me dérangerait. Je me mis même un peu mon rôle dans la meute entre parenthèses pour m’occuper de ma fille ; ça peut peut-être vous surprendre, mais c’était approuvé par Pandora. Elle me connaissait, depuis le temps : elle pouvait me faire confiance pour lui donner la meilleure des éducations lupines. J’en ai fais une membre solide, forte, féroce. Digne de la mère louve que je suis.

Alors vous comprenez bien, quand le débat pour ou contre l’adhésion de Saphir dans la meute arriva, j’étais complètement à l’ouest ! Je me concentrais plus sur ma progéniture que sur le cas de ce bras-cassé. Elle était pas méchante la p’tite, mais faut le dire qu’elle ne savait pas faire grand chose. Je comprenais Pandora, mais en même temps je n’avais pas vu son évolution, peut-être passait-on à côté d’un potentiel inexploité. Mais mon Alpha la connaissant plus que moi, il était plus sage de suivre son opinion. J’ai bien proposé une troisième alternative, celle de la marier à un riche seigneur pas loin de chez nous, elle aurait été en sécurité sans être coupée de sa grande sœur : mais personne ne m’a écouté !



Ah...j’aimerais mieux ne pas m’en rappeler. Si on m’aurait dit ça, j’aurais été la dernière à croire pareille blague. Comment d’une simple petite embrouille on est amené à couper la tête de notre cheffe...ça me paraît toujours aussi insensé, encore aujourd’hui. Sa propre mère. Nous n’y pouvons rien : tout va très vite quand on défit le pouvoir en place. Seulement, c’était Ruby...bien sûr, ça me paraissait évident qu’un jour elle prendrait une haute place, l’imaginant au mieux Beta, mais de là à devenir Alpha...peut-être en avait-elle les compétences, pour plus tard à une mort accidentelle de Pandora, je ne le niais pas, mais c’était si prématuré...pas maintenant, pas quand la situation de la meute est au beau fixe. Et atteindre mon amie...

Choquée, j’ai assisté au combat - partagée. Entre mon amie, mon Alpha, et sa fille, qui aurait pu être la mienne. Je ne compris pas ce qui les animait comme ça, c’était excessif...nous connaissons tous l’issue de ce combat. Il restera gravé dans les mémoires de l’Imoarai-Gumi. Sans contestation, je m’inclinai robotiquement devant la vainqueur. Si c’était elle, c’est qu’il était ainsi. Ma championne avait malheureusement fait son temps. Mais le trouble m’habitait...ne me déçois pas, Ruby.



« Arrête, calme-toi, arrête de protester tout haut devant elle. Laisse-lui une chance.  » C’est ce que je n’arrêtais pas de lui dire. A elle, mon ancienne rivale, la Beta de Pandora, à présent la Beta de Ruby, Nakano Athena. Je sais Ô combien tu le vivais mal ma chérie, mais à moindre que tu prennes les devants, ça ne changera rien. Personne d’autre que moi ne autant connaissait Athena, la combattante : et je savais qu’elle ne ferait jamais rien. La place de numéro deux était littéralement inscrite dans son ADN. Puissante, mais aucune ambition. Je partageais son opinion, bien plus que je ne le pensais. Seulement, elle parlait fort. Et Athena avait de la voix, elle savait communiquer ses désirs aux autres.

Ruby fut très contestée, c’était criant et attendu. Toutefois...l’idée qu’elle se fasse assaillir de tous les côtés m’horrifiait. J’étais endeuillée, je venais de perdre l’amie que je n’ai jamais eu ; la voir presque seule a dû me faire jaillir un espoir. L’espoir de retrouver Pandora en elle. Elle était sa digne fille : elle a pris le contrôle comme Pandora l’aurait fait. Sur le moment, j’étais convaincue de sa légitimité, et bientôt elles m’horripilaient toutes à la critiquer et à imaginer leurs petits complots qui n’tiennent pas debout. Alors, sur plusieurs mois, j’ai fais régner l’ordre. Je les ai toutes prises à part et publiquement pour leur remonter les bretelles. Mais il y en avait une dans le lot qui n’attendait rien pour attendre.

A la fin, Athena me sortait par les yeux. La Beta, mon amie de longue date, je ne pouvais plus me farcir ses vociférations. Je l’avais pourtant prévenue à maintes reprises : « Arrête, arrête sinon c’est moi qui vais te faire taire pour de bon. » C’en était trop. Prise par surprise en plein service, je l’ai entraînée où il y a le local à poubelles. De un : tout le monde le saurait ce qui lui est arrivé ; de deux : la benne était un excellent cercueil à son image. Voilà comment je pris sa place.

Une période de grand calme s’abattit à ascension. On me regarda différemment. Rien d’étonnant non plus, mais c’était grandement appréciable. Je n’avais pas remarqué à quel point les loups plaçaient haut la Beta de la meute ; très vite, je me sentis responsables d’eux-tous. Et Diable, comment ai-je fais pour ne jamais avoir revendiqué cette place ? Etais-je si éblouie par Pandora que le peu de lumières que j’avais me suffisait ? Un comble ! Mon passé, mon vécu, mes victoires, tout faisaient de moi la candidate parfaite à ce poste ! Comment ai-je pu ne pas le voir jusque-là ?! Plus au contact des loups, pas uniquement dans les conseils stratégiques, je me rendis compte que j’avais beaucoup à leur apporter ; quelle erreur j’ai fais de tout garder pour mes filles. L’ensemble de la meute a besoin de mes conseils.

Je n’étais pas dupe : les langues de vipères s’étaient tu, mais elles allaient pas tarder à l’ouvrir. Il fallait que Ruby agisse, relance une guerre ou une conquête de territoire pour ressouder la meute. Il n’y a avait que ça pour faire fermer la bouche des récalcitrantes.

J’attendis. J’attendais qu’elle agisse en conséquences. Je le lui soumis ; elle les refusa catégoriquement. Bon. C’est une jeune. Il faut se montrer pédagogue. J’ai réitéré mes demandes avec plus de finesses ; ce fut un échec. Au bout d’une décennie, je compris avec dégoût que jamais elle ne continuera le projet de sa mère. Ruby nous condamne toutes et tous à l’ennui du commerce comme moyen de survie. Pire que ça : elle conduirait la meute dans le sens inverse. C’était de la folie. De la pure bêtise. Et qu’importe comment je pouvais le lui dire : elle a le défaut mal placé d’être têtue. Pandora, lorsque je me recueille sur ta tombe, je me dégoûte quand je repense à combien je croyais en ta fille. Malheureusement, j’ai misé sur le mauvais cheval. Ta puissance de corps et d’esprit était telle qu’elle fut impossible à transmettre à qui que ce soit uniquement par le sang. Les codes changèrent. L’autorité par la force est toujours de mise, mais c’est devenu plus théorique qu’en pratique, tellement ta fille veut s’interposer dans tout ; soit-disant pour “l’entente de la meute”. Si tu étais encore là, tu ne reconnaîtrais plus ta meute. Que tu me manques, mon amie...



Les temps changent. Je suis de celles qui ne se trompent pas deux fois. Je ne m’abaisserai pas éternellement à cette soumission passive que Ruby nous fait tous subir. A l’arrière, ça grogne : elle n’a jamais arrêté ça. Je vais lui apprendre comment on règle ses problèmes.

Depuis un long moment, je fais profil bas : je ne lui plus jamais prodigué mes plus sages conseils, débriefant le plus urgent, et je me suis replongée dans la marchandise humaine. A cause de sa nonchalance, au lieu de passer à l’offensive et ralentir ça, les gangs d’aujourd’hui ont pris du terrain. Traiter les humains n’est plus une mine d’or, les Longues-dents ont vampirisé ce marché-là. Je me suis glissée dans une niche peu exploitée, je ne voyais pas comment faire autrement. Les humains, c’est ce que je sais le mieux vendre. Mais Diable la malchance m’a encore frappé ! Ou bien c’est l’économie actuelle qui est de plus en plus compliquée, mais même ça, ça part en biberine. Il est temps que je change de statut.

Suis-je prête pour ça ? Plus qu’à cent pour cent. A l’heure actuelle, un seul coup d’oeil suffit de voir qu’il n’y a personne d’autre que moi pour ça. Aucune n’est à la hauteur. Tellement Ruby a tiré la meute vers le bas, nos valeureuses femelles ne sont plus ce qu’elles étaient. Tant que cette incapable est encore au pouvoir, nous avons du souci à se faire. Les autres gangs progressent ; et nous restons là à regarder ! Elle va faire tomber ce qu’on a mis des siècles à bâtir. Reste donc dans tes illusions Ruby : je reparle à tes ennemies du passé. Nous nous voyons régulièrement.