Inoue Mitsuo

Bout de magazine arraché. Collé avec du scotch contre son mur. Son propre sourire qui lui revient, un signe de main à la caméra, et le rêve avait eu l’air de se terminer soudainement. Un concours gagné, un contrat promis, mais autre qu’attendre patiemment qu’on le recontacte, il n’y avait rien à faire. Alors il s'installe sur son lit, chaque jours, fixant son téléphone portable dans un silence qui n’était brisé que par les cris de son père et les sanglots de sa mère. Une famille dysfonctionnelle. Plus vieux de fratrie de trois enfants, il protégeait normalement les plus jeunes des crises de rage de leur paternel. Depuis ce concours gagné, il ne quittait plus sa chambre. Alors les plus jeunes venaient se réfugier près de lui dans une tentative désespérée d’échapper à la violence.

Une semaine. Longue, pénible, suffocante. Entre les railleries de celui qui se disait être son père, lui rappelant qu’il n’était qu’un bon à rien, et les murmures soufflés de sa mère qui lui disait de ne pas en vouloir à l’homme. Entre les deux benjamins qui se recroquevillent dans son dos, lorsqu’il se prend des coups. Il avait enfin eu cet appel. Ce moment béni où ça changerait. Sans regarder derrière, avec un simple pincement au coeur de laisser les plus jeunes sans défense, il attrape ses affaires et part.

Quatre autres. Comme lui, passionnés, déterminés. Les yeux brillants et la voix puissante. Ensemble, ils formaient une nouvelle famille. Ensemble, ils formaient un tout. Ils s'adorent, chahutent comme de vrai frères, mangent, dorment et travaillent ensemble. Premiers cours de danse, premiers cours de chant. Premier single et premier concert et, surtout, premiers fans. Une vie enfin à la hauteur, comme il avait toujours rêver.

Expérience hors du corps. Son esprit se détache presque de la réalité. Rien ne fait de sens. Tout n’est que forme. Les visages ne sont plus que des ellipses, lisses et sans caractéristiques. Tout en 2D, comme un jeu vidéo des années 80. Et ce qui est encore en 3D, c’est comme un film écoeurant, un travelling contrarié vers les sujets sur lesquels ses yeux se fixent On lui parle, mais les mots viennent comme un langage étrange. Son corps semble se mouvoir seul, comme une réaction incertaine face à un danger. Tendant la main, empoignant ce personnage farfelu et le secouant violemment. Les paroles inconnues deviennent plus forte et au travers il finit par distinguer son nom. Et quand il revient à lui, un membre de sa nouvelle famille à les joues bleuis par les traces de ses doigts, le regardant avec haine. Et sans comprendre, il sait que c’est sa faute. Et celle de son père.

Psychologue. Traitement aux pilules. On nomme le trouble et il est terrifié. On lui promet que ça ira, tant qu’il consulte. Il se fait pardonner à coup de barbecue à volonté et de saké. Les rumeurs vont bon train. Les fans sont encourageants. Les autres sont ignorés.  Les affaires continues. Et les crises aussi. Petit à petit, ce monde devient le sien. Petit à petit, de s’y perdre le met dans une colère noire. Et cette colère le rend violent. Comme papa.

Un accident. C’est ce qu’il répète, encore et encore et encore, mais rien n’y fait. On le veut loin. Hors de l’appartement qu’ils partageaient tous les cinq. Hors du label qui ne peut plus couvrir ses problèmes. Hors de la société qui préfère le cacher dans des salles stériles et le restreindre d’une chemise. L’installant de force devant des psychologue, presque comme un sujet d’étude. De la haine. De la souffrance. De la rancoeur envers ceux qui se disaient ses frères.

Du sang. Tellement de sang. Une morsure béante à la cuisse. Le dernier arrivé était d’une agressivité jamais vue, mordant tout ceux se trouvant à portée de dents. Son apparence était terrifiante, mais il savait qu’il ne pouvait plus se fier à l’apparence de quoique ce soit. Les jours suivants sont passés à l’infirmerie. L’attaquant calmé, isolé, il n’était bien vite qu’un souvenir oublié. Presque vingt-neuf jours plus tard, le souvenir laissé par ce patient a finalement un plus grand impact sur sa vie qu’il ne l’aurait cru.

Famille éloignée. Venue pour l’aider. Un visage qu’il reconnaissait, mais sans être persuadé qu’il s’agissait bien de lui. Dans le bordel de l’hôpital, les cris, les fuites et les docteurs tentant de calmer le jeu, il a hoché la tête pour suivre ce cousin qui semblait tout aussi jeune que le premier jour. Respirant une bouffée d’air frais, loin du blanc, loin des médecins. Nouvelle famille, nouveaux horizons. Un être à la tête qu’il avait du mal à accepter.

Quatre meurtres. Après le rejet, c’est tout ce qu’ils méritaient. Ils feront la une pour une dernière fois. Des noms qui étaient sur toutes les bouches et qui seraient pleurés pendant quelques temps. Et puis, plus subtilement. Un couple, quelque part, en banlieu de Tokyo. Laissant dans l’orphelinat trois garçons, dont le plus vieux avait disparu depuis un moment.